A la découverte des talents ignorés Page : précédente | | suivante
Un étonnant artiste belge le peintre-sculpteur Wad

Conçoit-on qu'à notre époque d'arrivisme et d'auto-publicité, un artiste puisse atteindre la quarantaine sans avoir exposé jamais et consente, avec une sorte de passion mystique, à un sort ingrat pour s'exprimer à sa convenance et donner à son oeuvre l'accent de la maturité? Wad est cet homme hors série qu'une circonstance fortuite vient tout à coup d'arracher à l'ombre. Sa modestie, son effacement sont d'autant plus émouvants que sont art possède toutes les qualités de la ferveur et de l'authenticité. Rarement visite d'atelier fut, pour nous, aussi bouleversante. D'autres, de sa génération, nous ont habitués, par leur présence assidue aux cimaises, au développement progressif de leur personnalité. Or, nous nous sommes trouvés subitement devant un plasticien du pathétique dont nous étions loin de soupçonner la pureté et l'originalité.

L'exposition qui le concerne ne comporte qu'une salle comprenant une bonne vingtaine de peintures et quelques sculptures. Voyons-y une prise de contact, un appel à l'intérêt, l'introduction à une révélation plus explicite que nous souhaitons. Si limitée soit elle pourtant, cette entrée en matière apporte le témoignage d'une production fermement conçue et sentie, alliant la puissance à la délicatesse, la grandeur à la sobriété, le mystère à l'émotion. D'étonnants tableaux exécutés en harmonies de noirs et de gris - évoquant tantôt de véritables pierres souffrantes, tantôt des concrétions minérales combinées et modelées par une imagination éprise de fantastique - voisinent avec des toiles d'inspiration colorée qui sont autant d'actes de joie. Quant à ses monolithes de bois, ils serrent le mouvement autour du volume et associent à la densité de la matière l'activité façonnate de l'esprit pour devenir, en fin de compte, de purs objets de pensée. Voilà, en très bref, le monde de songe et de calcul, d'austérité et de fraîcheur, de figuration irréelle et d'abstraction sensible où nous sommes conviés à pénétrer.

Wad, nous l'avons dit, ne se prévaut d'aucun palmarès. Né en 1918, dans le Nord de la France, de parents belges, il s'est installé à Bruxelles dès avant la guerre. Il ne fut élève d'aucune académie. Sa vocation seule fut son guide. Dessinant d'instinct depuis sa prime jeunesse, il aborda simultanément, par la suite, la gravure, la sculpture, la peinture, se détachant d'une technique par l'apprentissage d'une autre mais s'en appropriant d'intuition le langage, en parfait autodidacte. Sans angoisse ni brutalité, il passa par tous les stades d'évolution qui conduisent de l'interprétation du réel à la vision subjective, conscient toujours des exigences profondes, du coeur et du métier.

Nous avons la conviction de nous trouver devant un talent nouveau, enthousiaste et sûr, multiple et cohérent, largement ouvert aux problèmes de la création artistique. Son isolement l'a préservé des influences trop puissantes; la richesse de ses dons lui a permis de s'affirmer par les voies de la vie intérieure. L'exposition qui nous retient est celle d'un artiste qui voulut réaliser ses aspirations avant de satisfaire ses ambitions. D'emblée, Wad prend, à nos yeux, place parmi nos quelques artistes sur qui il faut compter, dont il va falloir parler et qui mérite d'être accueilli avec une sereine confiance.
L.-L. SOSSET.

Wad 1957

Une des peintures récentes de Wad.

Source: Les Beaux-arts. Hebdomadaire d'information artistique publié par le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Vingt deuxième année * Vendredi, le 29 novembre 1957 * Page 1.
10 rue Royale * Bruxelles * Bureaux : 23 rue Ravenstein
Directeur-rédacteur en chef : Lionel Giraud-Mangin.
L'artiste peintre et sculpteur Charles Wardenier dit Wad est né le 17 mars 1918 à Calais en France et est décédé le 13 décembre 1987 à Bruxelles en Belgique.
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