A la découverte des talents ignorés
Philippe JANSSENS | Les câbles peuvent détendre...


Philippe JANSSENS (Sculptures exposées du 20 octobre au 3 novembre 1989)

Philippe Janssens
Le concepteur
Les câbles peuvent tendre, contraindre, mais aussi retenir, résister, relever, réunir, solidariser.

Ici, un lourd poids d'haltérophilie de 7,5 kg maintient un axe en équilibre sur une pointe, tandis qu'à l'opposé un tube d'acier rempli d'à peine un kilo de plomb fait plier la barre tout en participant à la stabilité de l'ensemble. Deux câbles écartés de la barre par deux caténaires redressent la courbe; ...l'équilibre est parfait, l'axe peut tourner, s'incliner: l'équilibre a engendré le mouvement.

Tout porte à croire que nous sommes face à des objets fonctionnels. Une barre d'une matière composite est maintenue en équilibre par des poids sur un pied d'acier sablé, ceux là même qui forcent l'axe à se courber par le biais de deux câbles d'inox gainés de vinyl transparent. Ceux-ci sont proches de la limite de résistance à la traction, les poids suffisent seulement au maintien de la pièce en équilibre et à la création de la tension. Ces câbles sont indispensables pour diriger l'axe dans sa courbe, et un écarteur entre ces derniers renforce la manière parfaitement rectiligne de la contraindre.

Le propos de ce travail est de rendre les forces et les tensions apparentes, de développer un langage de formes où chaque élément dialogue avec les autres par un rapport de nécessité. La forme globale est apparemment gratuite, mais chaque partie de la structure, chaque pièce est techniquement indispensable. Ce respect scupuleux de règles et de lois physiques engendre un univers esthétique particulier où la beauté des lois qui régissent la matière elle-même nous apparait. Quelques éléments nous sont donnés pour une lecture et une intellectualisation plus approfondie; tels ces contrepoids qui portent la mention 1,25 kg.

Les références sont multiples, mais dans ce cas ci, celle au pont suspendu est évidente. Les deux axes parallèles sont maintenus parfaitement horizontalement par l'interaction de quatre câbles tendus différemment et de deux poids en bout d'axe. Le seul point d'appui contre le mur permet un balayage de l'espace par ces deux axes qui tels deux doigts vindicatifs et inquisiteurs désignent l'éther.

Arc tendu
Canne à pêche
La volonté de dialoguer avec le mur est importante, le contact est franc et marqué. Les câbles sont accrochés à une pièce vissée dans le mur, il ne s'agit pas ici du clou qui tient la toile du peintre, mais bien d'une pièce indispensable à l'oeuvre, qui n'a pas de raison d'être sans ce mur, qui n'est ni un socle, ni un support; il interagit avec les forces présentes. La matière employée exactement pour ce qu'elle est. L'acier est sans traces d'oxydation, parce que celle-ci finit par affaiblir une structure soumise à tension. Les axes sont faits d'une matière mise au point pour répondre aux contraintes de ce travail. Une fine barre de métal ressort, fagottée de fibres végétales (rotin) est coulée dans une masse de résine synthétique contribuant au développement de matériaux composites propres à cette décennie. C'est une référence directe à un univers technologique contemporain incluant d'importantes connotations à la voile et à l'aviation : les formes effilées, l'élan vertical, la prise de position de l'espace parce vecteur de perception.

Les poids sont là, retiennent cet élan, maintiennent au sol. Les câbles chargés de cette contrainte vivent sous cette tension et portent même un son, témoin de cette vie. Quelque chose se passe sous nos yeux et ne cesse de se produire tant que tension il y a.

Philippe Janssens, Les câbles peuvent détendre... <<> Info, 1990, 1, (2), pages 2-3


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